Créateur américain entièrement autodidacte, Tommy Hilfiger
a su créer un style simple et décontracté aujourd’hui porté dans
le monde entier. Rencontre avec un surdoué du marketing, passionné
de rock’n’roll, dont le succès planétaire n’est pas dû qu’au hasard.
Vous n’avez jamais étudié la mode. Quelle a été votre
meilleure idée, selon vous, lorsque vous vous vous êtes lancé,
encore très jeune ?
Tommy Hilfiger : Ça a sans doute été de dessiner ma propre collection.
Je l’ai fait en apprenant progressivement le métier. Je ne savais
pas vraiment ce que je faisais, mais je savais ce que j’aimais porter, et
ce que je voulais donner à mes clients. J’ai pris un stylo, j’ai dessiné,
acheté le tissu, l’ai donné à coudre, je l’ai mis dans mon magasin, et ça
a eu du succès. Je me suis donc dit que j’allais continuer à dessiner.
Pourquoi aimez-vous le style “preppy”, les basiques un peu
BCBG à l’américaine ?
J’ai grandi en portant des vêtements très classiques. Je suis à l’aise
avec ça. A 20 ans, je me suis un peu rebellé, j’aimais porter les cheveux
longs et écouter des chansons hippies. Mais je m’en suis lassé, j’ai voulu
revenir à mes racines, tout en proposant quelque chose de nouveau
et différent. Donc j’ai délavé, ajouté des couleurs et des détails, un côté
cool et relax, et les affaires ont commencé.
Lorsque vous étiez encore très jeune, vous avez refusé de
travailler pour Calvin Klein et Perry Ellis, comme assistant
designer. Pourquoi ?
J’avais de plus grands projets. Je voulais dessiner ma propre ligne
avec mon propre nom, posséder mon entreprise.
Parmi vos défilés, duquel gardez-vous le meilleur souvenir ?
Londres, 1997 : rock’n’roll, hip hop, BCBG, des gens dansant sur les
podiums, Naomi Campbell, Kate Moss, de la musique live... C’était fou.
Vous collaborez souvent avec des pop stars ou des rock stars.
Comment provoquez-vous ces rencontres ?
Je vis à New York, donc je rencontre tout le monde. Mais je choisis
des gens dont j’aime la musique. Beyoncé n’était pas encore Beyoncé
lorsqu’elle a chanté en live pour l’un de mes défilés, avec les jeunes Destiny’s
Child. Britney a été mannequin pour mes jeans avant de devenir
une énorme star. J’ai aussi collaboré avec des artistes établis comme
Mick Jagger, David Bowie ou Lenny Kravitz… Mais j’ai souvent repéré
des gens un peu avant tout le monde.
Comment vous tenez-vous au courant de tout ce qui sort ?
Quand on se passionne pour un domaine, quel qu’il soit, on l’étudie
avec beaucoup de sérieux. C’est ce que je fais.
L’entreprise Tommy Hilfiger a été rachetée l’année dernière
par le géant américain du textile Phillips-Van Heusen (PVH).
Quel est votre rôle exact au sein de votre marque aujourd’hui ?
Oui, ce groupe est aujourd’hui propriétaire de Calvin Klein, de
mon entreprise et de plusieurs autres. Grâce à cela, je ne m’occupe
plus de la gestion pure de la marque. Mais je suis encore en charge de
la partie créative, du marketing et des relations publiques. Je continue
à faire la moitié de ce que je faisais avant.
Ce changement vous plaît ?
Enormément. Je n’ai plus à m’occuper des taxes, des assurances,
etc. Avant, j’avais constamment un oeil sur les chiffres, et ça prend
beaucoup de temps !
A quoi ressemble une journée type pour vous ?
Je préside une réunion de travail le matin, parce que je veux être
au courant de tout ce qui se passe dans l’entreprise. L’après-midi, je
m’occupe de la création, du marketing, de la publicité, et le soir, j’organise
souvent des dîners caritatifs, liés à la Fondation Tommy Hilfiger.
Par le biais de la fondation, nous essayons d’aider vraiment les gens.
Par exemple, nous avons “adopté” un village en Afrique, pour lutter
contre l’extrême pauvreté. Nous sommes très engagés dans la lutte
contre le cancer du sein, contre le sida, le diabète, et aussi contre la discrimination
raciale, avec Martin Luther King Jr.
Votre marque marche très bien en Afrique. Pourquoi ?
En fait, c’est dans le monde entier : en Chine, en Amérique du
Sud…
Qu’est-ce qui plaît tant, à votre avis ?
C’est notre positionnement : abordable, accessible, de très
bonne qualité. Et puis, tout le monde porte des vêtements “casual”,
de nos jours. Les gens dans le monde entier veulent des jeans. Partout,
ils recherchent quelque chose dans lequel ils se sentent à l’aise
et qui ait ce côté “preppy”, classique américain.
Vous attendiez-vous à avoir tant de succès ?
Non, je ne pensais pas connaître un succès aussi énorme, même
si je me disais que ce serait formidable.
Quelle a été votre réaction quand vous avez compris que
c’était en train d’arriver ?
Aux Etats-Unis, nous avons grandi trop vite ! Nous sommes devenus
trop gros. Quand on voit une personne sur deux portant une marque, il faut s’attendre à un retour de bâton. Les gens se lassent de
porter ce qu’ils voient sur tout le monde. Nous nous sommes donc mis
un peu en retrait, puis nous avons repris notre croissance aux Etats-
Unis. En Europe, en revanche, nous n’avons fait que progresser. Mais
ça nous a appris quelque chose : nous surveillons notre croissance de
très près, de manière à protéger la marque.
Est-ce que vous créez encore ?
Je supervise. Je puise mon inspiration dans les icônes américaines,
du cinéma, du rock’n’roll, ou dans des lieux, comme Miami, New
York, Los Angeles... J’ai des carnets, je prends des photos, et j’ai aussi
une mémoire photographique. J’ai d’ailleurs mis tous cela dans un
livre que j’ai publié récemment.
Etes-vous sportif ?
Je fais du ski, du vélo, du beach volley, du jogging, de la plongée
sous-marine et beaucoup de sports nautiques. J’aime l’idée d’une existence
heureuse, pleine d’activités amusantes en plein air, et je pense
que ça se reflète beaucoup dans mes collections.
Quels sont vos absolus, en mode ?
Pour ma marque, jamais de cuir noir, et toujours beaucoup de
couleur. Et pour moi-même, toujours classique, et simple.
Quelle est votre relation à l’art contemporain ? Est-ce que vous
collectionnez, comme beaucoup de créateurs ?
Mon intérêt pour l’art et la culture pop est né très jeune. Bien sûr, il
a fallu du temps avant que j’aie les moyens de collectionner. Mais dès
l’instant où vous commencez, ça ne vous quitte plus. Je trouve fascinante
la façon dont les artistes trouvent toujours de nouvelles
manières de créer, de montrer et de représenter le monde. En ce sens,
c’est très similaire à la mode : beaucoup de choses ont été faites, mais
nous continuons de réinventer et d’explorer.
Y a-t-il certains autres créateurs de mode dont vous suivez
le travail, que vous admirez ?
Karl Lagerfeld est une vraie légende. Il crée pour les collections les
plus prestigieuses du monde. Il a toujours imposé des références en
matière de style, de créativité et de sophistication.
Vous venez d’ouvrir une grande boutique sur les Champs-
Elysées. Vous connaissez bien Paris ?
J’y vais trois ou quatre fois par an, et j’aime me balader, sentir
l’atmosphère, le vrai sens du style des Parisiens. Pour célébrer l’ouverture
de la boutique, j’ai dîné avec des amis au Lapérouse, un
excellent restaurant.
Vous avez cinq enfants. En grandissant, ont-ils influencé
vos créations d’une manière ou d’une autre ?
Mes enfants ont toujours été une source d’inspiration pour moi. En
les regardant, je peux voir ce que les jeunes générations aiment et ressentent.
Je dessine des vêtements que les gens veulent porter, donc
c’est important pour moi de rester au diapason avec eux. Mes enfants
me font aussi découvrir de nouveaux musiciens, et ils sont très francs
quand ils n’aiment pas quelque chose.
Quelle collaboration avec un artiste vous a-t-elle le plus surpris,
et pourquoi ?
C’est trop difficile d’en choisir une, elles ont toutes été intéressantes.
Pour le 25e anniversaire de ma marque, j’avais dessiné une
micro-collection inspirée de mes idoles personnelles, comme Steve
McQueen ou Grace Kelly. Ensuite, j’ai travaillé avec l’artiste
contemporain Michael Zavros pour créer un portrait de ces icônes.
C’était passionnant de découvrir son interprétation. On a aussi
lancé une ligne de chaussures en collaboration avec la fondation
Keith Haring. Ça a été un défi, mais dans le bon sens.